Le libéralisme, on l’a vu, n’est pas exempt de critiques. Parmi les principales de ces dernières, on trouve celles qui s’attaquent à son versant économique, en particulier pour ses conséquences sur les inégalités de richesse qui ne respecteraient pas le principe de justice sociale. Le marxisme, théorie socialiste majeure développée au XIXe siècle, avait ainsi pour finalité la destruction de l’ordre capitaliste issu du libéralisme en collectivisant les moyens de production.
Ce socialisme s’était, comme le libéralisme occidental du XIXe siècle, sclérosé dans l’URSS marxiste-léniniste qui a viré au totalitarisme : le régime s’est enfoncé dans une dictature violente ne respectant aucun des droits individuels et provoquant une crise économique permanente, stagnant dans un immobilisme délétère jusqu’à ce que des réformes trop tardives précipitent son effondrement.
Ces difficultés, et l’ambition de concilier théories socialistes et démocratie, tout en les renouvelant au monde actuel, donnent naissance à de nouvelles théories se confrontant au néo-libéralisme triomphant de la seconde moitié du XXe siècle.
Nous étudierons dans cet article ces théories à l’aide du livre de Sébastien Caré déjà évoqué, en revenant d’abord sur les théories socialistes contemporaines puis sur les théories libérales égalitaristes1.
Les théories socialistes
Pour les théories socialistes, la liberté libérale est purement formelle : sans garanties, il n’est pas possible d’en profiter concrètement, et il faudrait donc partager les moyens de production de façon égalitaire. Cependant, contrairement au marxisme, ces nouvelles théories refusent le déterminisme historique et préfèrent le volontarisme, tout en s’attachant à la lutte contre de nouvelles formes d’exploitation plutôt que la seule domination économique, et à la démocratie et à l’égalité politique plutôt que la dictature du prolétariat.
Le marxisme analytique
Le premier de ces nouveaux courants est le marxisme analytique, né à la fin des années 1970 : écartant plusieurs éléments comme la théorie de la valeur-travail, la logique hégélienne et la dialectique, ils les remplacent par une théorie subjective de la valeur, la logique formelle et l’individualisme méthodologique, mais restent dans le même projet égalitariste en égalisant l’accès aux moyens de production grâce à un principe de propriété commune du monde.
Gerald Cohen (1941-2009) réfléchit dans les années 1990 au concept de propriété sur soi et le considère plausible, mais contrairement aux libertariens, il ne pense pas que cela mène à une inégalité légitime des conditions : au contraire, la propriété sur soi implique pour lui que l’exploitation du salarié est un transfert forcé de plus-value. Cohen établit ensuite que le consentement de tous est nécessaire pour utiliser une ressource extérieure : c’est le principe de propriété commune du monde, menant à la nationalisation des moyens de production pour ne pas répartir inégalement les ressources. En conclusion, Cohen affirme finalement que la propriété sur soi est surtout formelle et d’un faible intérêt, et qu’il faudrait la limiter pour permettre une plus grande liberté réelle grâce à la propriété commune du monde, puisque la propriété sur soi deviendrait alors inutile, n’étant concrète qu’en l’associant à une propriété privée inacceptable des ressources extérieures.
S’opposant au matérialisme historique, il préfère comme Rawls la réflexion éthique à la recherche scientifique pour trouver des principes normatifs, mais il s’oppose à lui sur l’étendue du principe de justice : il ne souhaite pas l’appliquer uniquement aux institutions et au droit, mais aux individus eux-mêmes, avec un ethos social égalitaire. En effet, selon Rawls, on peut justifier les inégalités si elles améliorent le sort des plus défavorisés, mais cela conduit à ne réduire les inégalités que jusqu’à un certain seuil, et à se reposer sur l’égoïsme des plus riches par des incitations financières plutôt que leur générosité : la société ne serait donc pas juste, puisque les individus ne le seraient pas. Cohen préférerait ainsi que les riches, par solidarité, renonceraient volontairement à la partie de leurs richesses ne bénéficiant pas aux plus pauvres – il rejoint par là le catholicisme social.
Cohen, dans un ouvrage posthume publié en 2009, distingue les différentes formes de l’égalité. Avec « l’égalité bourgeoise des chances » , on élimine les restrictions juridiques, sociales ou religieuses, tandis que « l’égalité de gauche libérale » corrige les déterminismes sociaux afin de valoriser le mérite individuel, et que « l’égalité socialiste des chances » prend aussi en compte les « différences innées » . Cohen préfère cette dernière, car elle corrige des désavantages subis tels que des handicaps naturels : il ne resterait donc plus d’inégalités autres que celles issues des différentes aspirations individuelles. Ce système pourrait être mis en place en modifiant l’organisation sociale afin d’écarter les tendances égoïstes des individus. Reconnaissant que le marché permet d’indiquer les besoins de production, Cohen défend alors l’idée d’un socialisme de marché exploitant les égoïsmes pour répartir les ressources tout en instillant des soucis communautaires dans l’économie, mais Cohen admet ne pas savoir comment s’y prendre autrement que par l’État-providence.
John Roemer, né en 1945, mobilise la théorie du choix rationnel, comme les néoclassiques (en rejetant leurs conclusions), et rejette la théorie de la valeur-travail et la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Souhaitant toujours éradiquer l’exploitation et donc les rapports de classes capitalistes, il croit cependant au socialisme de marché et à un marxisme de choix rationnel. Pour Marx, on trouve l’exploitation dans l’usine, lorsque le capitaliste extrait du travail de l’ouvrier une valeur supérieure à celle qu’il lui restitue, mais John Roemer considère que certains transferts de plus-values sont légitimes, par exemple pour aider les personnes handicapées. D’autres situations, sans ces transferts pourtant, pourraient également être des situations d’exploitations, par exemple lorsque les femmes mariées ne peuvent prendre d’emploi salarié, ou pour le cas des chômeurs : bénéficiant d’indemnités, ils seraient considérés comme des exploiteurs selon la théorie marxiste.
La théorie de l’exploitation proposée par John Roemer se focalise donc non pas sur le transfert de plus-value mais sur la théorie des jeux et les relations de propriété : partant de l’hypothèse d’une propriété commune du monde, il considère qu’un individu est exploité s’il tirerait bénéfice du fait de se retirer du « jeu » en prenant sa force de travail et sa juste part des ressources extérieures, c’est-à-dire s’il serait avantageux pour lui de quitter sa position actuelle pour recevoir une part égale des ressources productives. Cette théorie permet donc de ne pas considérer les chômeurs comme des exploiteurs, et de justifier des transferts de plus-value pour compenser les inégalités, et il faudrait donc tendre vers l’égalisation de l’accès aux moyens de production.
John Roemer veut donc aussi lutter contre l’exploitation socialiste fondée sur les inégalités de compétences et de talents, mais il abandonne aussi l’idée d’une égalité totale, considérant qu’il existera toujours une exploitation socialement nécessaire, puisque l’exploitation socialiste stimule des compétences favorables aux plus démunis. Il en revient donc à la théorie rawlsienne de la justice et affirme : « Une forme d’exploitation est socialement nécessaire lorsque sa suppression modifierait les stimulants et les institutions telle que cela deviendrait pire pour les exploités » . Il en conclut donc la nécessité de réorienter le marché dans un cadre socialiste : une égale propriété des moyens de production dans une économie de marché. John Roemer prône ainsi la création d’une double monnaie, l’une pour les échanges de marchandises, et l’autre, attribuée à égalité pour toute personne majeure, afin d’acquérir des parts de propriété d’une entreprise, de percevoir une partie de ses bénéfices et de voter au conseil d’administration. Des inégalités subsisteraient pour le marché du travail, mais elles seraient donc très limitées puisque les actionnaires ne seraient pas les plus riches mais l’ensemble de la population, menant à une politique économique différente.
Erik Olin Wright (1947-2019), enfin, pense que les sciences sociales, en dévoilant les mécanismes de l’oppression, contribuent à l’émancipation des êtres humains, en évaluant et en critiquant le monde, en envisageant des alternatives viables, et en comprenant leurs obstacles. Il fournit donc une évaluation critique des institutions et structures sociales à partir de deux principes normatifs : un principe de justice sociale impliquant « un accès égal aux moyens matériels et sociaux de vivre une vie épanouissante » , à mi-chemin entre l’égalité des chances et l’égalité des conditions. Chacun devrait pouvoir satisfaire ses besoins de base et accéder aux moyens de développer ses talents. Wright défend aussi un principe de justice politique, avec des moyens égaux de participation aux décisions les affectant, avec une démocratie radicale concernant beaucoup plus de questions. A partir de ces principes, Wright critique le capitalisme pour son accroissement des inégalités, sa limitation de la démocratie, sa destruction de l’environnement, et sa destruction des valeurs communes.
En conséquence, Wright envisage des alternatives viables, rejetant le déterminisme marxiste et préférant une « théorie de la possibilité structurelle » , sans ambition prédictive, mais pour envisager toutes les possibilités afin d’avoir une sorte de « boussole socialiste » permettant de se diriger vers un « renforcement du pouvoir d’agir social au sein de l’économie » . Pour respecter la justice politique, Wright propose des dispositifs de démocratie directe, comme le budget participatif municipal, le financement public des campagnes électorales, ou la démocratie associative impliquant les organisations collectives, dans l’objectif de placer la société civile en position de force par rapport à l’État. Concernant la justice sociale, devant subordonner le pouvoir économique au pouvoir social, il n’abolit pas complètement le système de marché mais veut réorienter son fonctionnement selon des priorités fixées de façon démocratique et en limitant ses effets néfastes : il prône ainsi l’économie sociale, consistant en une production et une distribution organisées par le pouvoir social (avec l’exemple de Wikipédia, de ses relations non marchandes et de son mode d’arbitrage démocratique conformes à l’égalitarisme radical), ainsi que le revenu inconditionnel de base.
Pour parvenir au monde que Wright veut faire advenir, le philosophe élabore une « théorie de la transformation » permettant de réaliser le pouvoir d’agir social. Contrairement à l’attentisme déterministe de marxistes comme Guesde qui croient en l’effondrement à venir du capitalisme, Wright souhaite mettre en place des stratégies volontaristes de transformation : la « transformation par rupture » (le socialisme révolutionnaire, renversant l’ordre établi), la « métamorphose interstitielle » (de tendance anarchiste, en renforçant le pouvoir social dans les marges de la société capitaliste), et la « transformation symbiotique » (de la social-démocratie corrigeant les problèmes de l’État capitaliste par le pouvoir social). Plutôt que d’en privilégier une seule, il souhaite les combiner, même s’il reconnaît que les stratégies de rupture sont désormais anachroniques, préférant des « petites transformations successives » associées à une transformation interstitielle en dehors du champ étatique.
Les théories critiques continentales
Les autres théories critiquant l’aspect économique du libéralisme peuvent être nommées « théories critiques continentales » , désignant les pensées radicales héritant des mouvements ouvriers, de façon très diverses. Au sens strict, l’expression désigne d’abord la philosophie sociale de la troisième génération de l’École de Francfort, inaugurée dans les années 1950 pour articuler les sciences sociales dans une philosophie sociale cohérente critiquant les temps présents et encourageant à l’émancipation des opprimés. La première génération, avec Horkheimer et Adorno, reste très marxiste et focalisée sur la révolution prolétarienne. La deuxième est celle de Jürgen Habermas, né en 1929, à partir des années 1960 : le philosophe élargit la praxis à l’activité communicationnelle. La troisième génération prolonge cet apport en se focalisant sur les conflits sociaux et sur les pratiques intersubjectives de la reconnaissance, tout en renouant avec le socialisme.
Cette troisième génération s’incarne d’abord dans Axel Honneth, né en 1949. Il évoque, comme Hegel, le thème de la reconnaissance, qui est selon Sébastien Caré « un processus d’apprentissage à travers lequel des consciences individuelles consentent à une limitation réciproque de leurs libertés respectives » . En effet, chacun développe une conscience de lui-même à travers la reconnaissance des autres, ce pourquoi chacun lutte pour qu’ils reconnaissent en lui ses qualités morales. C’est une relation morale d’individus s’estimant mutuellement pour parvenir à un rapport positif à soi.
Axel Honneth parle d’abord de « la vie éthique naturelle« , notamment la reconnaissance amoureuse, un stade élémentaire où les individus s’affranchissent de leurs déterminations naturelles grâce à la présence des autres assouvissant leurs besoins de reconnaissance, de façon affective, et leur donnant confiance en eux. La reconnaissance juridique, de façon cognitive, voit ensuite dans les individus des personnes abstraites et titulaires de droit permettant aux individus de se percevoir comme autonomes, pouvant concourir à une volonté collective, et revendiquer le respect. Enfin, Axel Honneth parle d’une reconnaissance qualitative et différenciée où l’individu est reconnu « comme un universel concret » , de façon particularisée en lien avec sa contribution aux valeurs de sa communauté. Par « l’intuition réciproque », l’individu acquiert de « l’estime de soi » en s’évaluant par rapport aux qualités qu’il possède et met en œuvre selon les valeurs de sa communauté. L’amour, selon Axel Honneth, mène ainsi à la confiance ; le droit au respect ; et la solidarité à l’estime de soi, formant ainsi les trois formes de reconnaissance.
Dans le cas d’un déni de ces reconnaissances, on arrive au « mépris social » : lorsqu’un individu est menacé dans son intégrité physique, il est soumis à la volonté d’autrui, mettant en péril la confiance acquise par l’amour, ce qui lui fait perdre la sensation de sa réalité ; lorsqu’il est menacé dans les droits que la société devrait légitimement défendre, il ne se ressent pas comme un partenaire d’interaction à part entière ; enfin, ne pas se conformer aux modes de vie valorisés par la communauté conduit à ne pas reconnaître en sa propre existence de signification positive. Axel Honneth développe donc une théorie de la justice visant à permettre à chaque individu de maintenir son identité affective, de participer à la formation d’une volonté collective, et de voir sa contribution à la communauté être estimée à sa juste valeur.
Tout en tenant compte des aspirations envers une certaine communauté de valeurs, il faudrait aussi rester ouvert à leur redéfinition pour faciliter les diverses luttes pour la reconnaissance des mouvements sociaux. La justice passe ainsi, selon Nancy Fraser, d’une redistribution économique des richesse à la reconnaissance des identités culturelles dans les années 1970, mais la philosophe ne souhaite pas exclure l’une ou l’autre, ne pas traiter les injustices symboliques d’une façon moindre par rapport aux injustices socioéconomiques, alors qu’Axel Honneth pense que le principe de reconnaissance peut sublimer celui de la redistribution., puisqu’il pourrait y mener en appliquant le principe de solidarité.
Pour Axel Honneth, les utopies socialistes se sont taries, et ne parviennent plus à imaginer un horizon social postérieur au capitalisme. Il revient à son idée première : l’articulation entre liberté et solidarité, la première ne pouvant exister que dans une communauté solidaire, et devant donc être sociale : les individus, dans leur liberté sociale, s’apporteraient ainsi réciproquement une aide désintéressée pour satisfaire mutuellement leurs besoins. Cependant, pour Axel Honneth, cette idée est trop économiste, focalisée sur la sphère de l’agir économique, ne conçoit pas l’importance de la souveraineté populaire démocratique et l’émancipation permise par les droits individuels, les socialistes se contentant de supprimer le travail aliéné. Axel Honneth veut aussi que la liberté sociale s’applique à la sphère privée (de l’amour et de la famille) pour que chacun puisse exprimer ses besoins avec son partenaire, et à la formation démocratique de la volonté, les opinions individuelles concourant à la volonté générale. Il ne veut pas que le socialisme se contente de parler au prolétariat, du fait des transformations économiques : il doit aussi s’impliquer dans la relation entre partenaires, au sein de la famille, et au sein de citoyens. Enfin, pour Axel Honneth, le socialisme pèche par historicisme, considérant qu’il se montre parfois trop attentiste : il faudrait au contraire pratiquer l’expérimentation historique et faire des tentatives pour faire progresser la liberté sociale.
Hartmut Rosa, né en 1965, émet la théorie critique de l’accélération dans le prolongement de l’École de Francfort. A partir des années 1980, l’Occident serait entré dans la « modernité tardive », avec une triple accélération sociale : technique (des processus orientés vers un but, dans les transports, communications et la production), le changement social (des modes d’association : les cycles durent moins longtemps, par exemple avec les divorces et les changements d’emploi), et la « famine temporelle » (correspondant au besoin ressenti de faire plus de choses en moins de temps, dans une logique compétitive et d’accomplissement de sa vie), formant donc un « cycle de l’accélération » , chaque accélération nourrissant les autres, puisque les taux de croissance dépassent les taux d’accélération. Par exemple, l’invention des mails ne dégage pas du temps, mais multiplie les correspondances.
Cette théorie lui permet de nuancer les considérations des autres philosophes : alors que Jürgen Habermas pense qu’une norme est légitime si les discussions lui donnant naissance sont de qualité, Harmut Rosa considère qu’il faut faire attention aux structures temporelles des conditions de communication, puisque la démocratie est chronophage, et que les bons arguments sont trop lents pour être acceptés. L’accélération sociale, poussant à la vitesse pour remporter la compétition de la reconnaissance, devient donc une force totalitaire interne. Le philosophe critique ce phénomène : d’un point de vue fonctionnaliste, il identifie des contradictions internes entre la nature et la société, puisque les ressources produites sont consommées trop rapidement, et au sein de la société elle-même, entre la vitesse de l’économie et de la science d’une part et la prise de décision politique d’autre part. D’un point de vue normatif, il dénonce moralement l’injustice des relations sociales issues de l’accélération sociale, en raison des nombreuses exigences issues de ce système, poussant à la culpabilité lorsqu’on n’y répond pas, si on ne gère « pas bien » son temps par exemple. Il adresse enfin une critique éthique à ce phénomène, puisque plus personne ne peut modeler sa propre conception de la vie bonne, mais est condamné à maintenir sa compétitivité, revenant au concept d’aliénation sur le hiatus entre la promesse d’autonomie et l’accélération sociale : les individus poursuivent des buts que personne ne les oblige à suivre, et qu’ils n’approuvent pas vraiment eux-mêmes, par exemple en passant plus de temps au bureau que demandé.
Enfin, Antonio Negri (1933-2023) et Michael Hardt, né en 1960, développent une théorie critique articulant Spinoza, Marx et Foucault, pour analyser l’évolution du pouvoir politique et du capitalisme. Antonio Negri s’inscrit dans l’opéraïsme italien soutenant la spontanéité révolutionnaire, sans médiation syndicale : il défend la désorganisation du sujet d’émancipation. Lui et Michael Hardt développent des oppositions conceptuelles issues de Spinoza : le pouvoir est ainsi défini comme une capacité de contrainte envers les autres, qui n’auraient pas agi de cette façon, alors que la puissance est une faculté d’agir et de réaliser un acte. Pouvoir et puissance sont considérés comme ayant une relation dialectique, puisque le pouvoir éloigne les individus de leur puissance, qui permet de résister au pouvoir.
L’Empire (le pouvoir et la contrainte) est ainsi opposé à la Multitude (la puissance et la créativité), la mondialisation étant associée à l’Empire possédant désormais la souveraineté des États nations. Sans frontières fixées, il s’agit d’un appareil décentralisé et déterritorialisé, sans lieu de pouvoir, en lien avec la conception de Foucault sur le pouvoir décentralisé. Antonio Negri et Michael Hardt y voit trois parties distinctes : les corps monarchiques au sommet (avec les grandes puissances et en particulier les États-Unis, ainsi que les organisations internationales), les corps aristocratiques (multinationales et États moins puissantes) et les corps démocratiques sans pouvoir d’influence (l’ONU et les ONG). Pour la Multitude, on trouve le peuple et la classe ouvrière, vus comme pouvoir constituant dans leur pluralité, alors que Hobbes les voyait comme une foule sans volonté collective.
La Multitude ne devrait pas présenter un front homogène, par exemple la classe ouvrière, mais rester atomisée sur plusieurs fronts (féminisme, écologie…), et se construire constamment elle-même en s’opposant à l’Empire, qui cherche à se nourrir d’elle. Antonio Negri et Michael Hardt pensent que le processus de mondialisation, mené par l’Empire, peut mener à l’expansion de la Multitude et à la fin de l’État-nation. Ils remarquent l’essor de la production immatérielle au XXIe siècle, menant à un capitalisme cognitif après les capitalismes mercantiliste et industriel, avec une création de valeur issue de la mise en commun des savoirs des travailleurs. L’objet produit est lui aussi transformé : il s’agit de richesses immatérielles et donc non rivales, et l’exploitation devient alors une appropriation privée vis-à-vis de la plus-value commune, puisque la rareté des ressources est désormais organisée artificiellement, avec des brevets par exemple. Les auteurs appellent en réponse à pratiquer un « exode » pour bâtir de nouvelles relations sociales actualisant les puissances productives et se fondant sur le commun. Le capitalisme, comme dans le marxisme, provoquerait donc sa propre fin. La nouvelle société pourrait advenir par un programme en trois points pour éradiquer la misère et instaurer le bonheur, en fournissant des « moyens de subsistance élémentaires » à tous (pas un revenu de base et un accès aux soins universels), en exigeant l’égalité notamment dans un autogouvernement collectif pour former une « citoyenneté globale » , et en ouvrant un libre accès au commun.
Les théories libérales égalitaristes
Sans aller aussi loin que les pensées socialistes, mais en souhaitant comme elles aller plus loin que des libertés purement formelles, les théories libérales égalitaristes (qui refusent la collectivisation des moyens de production ou l’égalité matérielle entre tous) se rattachent au libéralisme tout en infléchissant les thèses économiques libérales.
La théorie rawlsienne de la justice
Le théoricien le plus emblématique de ce courant est John Rawls (1921-2002), dont l’ouvrage paru en 1971 sur sa Théorie de la justice a relancé la théorie politique contemporaine. Rawls adopte une méthode contractualiste et s’oppose à la téléologie : il critique ainsi l’utilitarisme, considérant qu’on ne peut pas appliquer l’hédonisme, adapté aux individus, à l’ensemble de la société, en vertu du principe de « la séparation des personnes« . S’il est rationnel de souffrir soi-même pour en tirer bénéfice plus tard, on ne peut appliquer ce principe en faisant souffrir une personne pour améliorer le sort d’une autre : Rawls refuse « d’adopter pour la société dans son ensemble le principe du choix rationnel valable pour un individu » .
Il s’oppose aussi à la téléologie communautarienne qui établit des principes de justice en se fondant sur les traditions préférant le bien au juste : il considère en effet que les sociétés sont pluralistes et que différentes versions du bien existent en concurrence. La justice, pour Rawls, est requise par la rareté des ressources, et privilégier une des versions concurrentes du bien pour appliquer sa version de la justice serait fait au détriment des autres visions. Il veut donc établir une justice comme terrain d’entente juridique, afin d’établir une société juste et stable, malgré la différence des « doctrines compréhensives, morales, philosophiques et religieuses » . Cette justice doit donc être considérée indépendamment du bien et du contexte.
Rawls se distingue aussi du jusnaturalisme (qui utilise un critère fondamental et indépendant pour déterminer le juste) en utilisant une méthode procédurale qui seule permettrait à la justice d’être universelle et indépendante de tout contexte. Il s’agit donc d’une théorie contractualiste tendant à l’abstraction, considérant des individus fictionnels sans caractéristiques sociales dans une situation également fictionnelle. Pour déterminer ce qui est juste, Rawls imagine des individus ignorant leur future situation et devant alors décider par exemple du principe de répartition des richesses ou du rapport entre l’État et la religion : puisqu’ils ne savent pas s’ils seront riches ou pauvres, chrétiens ou athées, ils choisiront des principes rationnels, acceptables même pour ceux ayant la position la plus défavorable pour se protéger des risques. C’est donc ce point de vue (fictionnel) qu’il faudrait adopter en permanence pour définir les principes d’une société juste : ces principes, pour être justes, devraient donc être ceux choisis par des individus rationnels ne connaissant pas leur future situation. En effet, le choix le plus rationnel serait donc de penser comme si on allait recevoir la position la plus défavorable possible.
La conséquence de cette procédure, pour Rawls, mène à établir deux principes. Le premier, primordial, est celui d’égale liberté : « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres » . Pour Rawls, ces libertés ne doivent pas être sacrifiées au bénéfice de la justice sociale, et il existe plusieurs libertés de base : les libertés politiques (droit de vote, avoir un emploi public), la liberté d’expression, de réunion, la liberté de pensée et de conscience, la liberté de la personne (face à l’oppression psychologique et physique), le droit de propriété personnelle, la protection contre l’emprisonnement arbitraire. Le deuxième principe est celui de la juste égalité des chances et du principe de différence : « Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachés à des positions et des fonctions ouvertes à tous » . Pour Rawls, cette solidarité signifie que les inégalités ne peuvent être justifiées que si elles bénéficient aux défavorisés (principe de différence), et qu’une « juste égalité des chances » doit être établie dans des conditions réelles en agissant donc sur les biens premiers sociaux (comme les revenus et la richesse). Mais d’autres interprétations existent pour ces deux sous-axiomes : on peut aussi considérer, de façon plus modeste, que la richesse d’une personne peut augmenter tant qu’elle ne nuit pas à celle des autres (principe d’efficacité), et que l’égalité des chances peut se contenter d’être formelle (carrière ouvertes aux talents).
Les sous-axiomes a et b peuvent donc se combiner différemment dans quatre combinaisons. La première est celle du système de la liberté naturelle (mêlant principe d’efficacité et carrières ouvertes aux talents), qu’on retrouve chez les anarcho-capitalistes (Rothbard) et les minarchistes (Rand et Nozick), puisque toutes les inégalités seraient justifiées et que le marché n’aurait plus de limites : ce système serait très injuste selon Rawls, ne considérant pas l’inégalité dans la dotation des biens premiers naturels (aptitudes physiques et intellectuels) et sociaux.
La deuxième combinaison possible est celle de l’égalité libérale (associant principe d’efficacité et juste égalité des chances), pour donner à deux individus possédant les mêmes biens naturels d’obtenir les mêmes chances de succès, pensée que l’on retrouve chez des libéraux comme Friedman et Hayek. Cependant, Rawls considère que ce système est insuffisant, puisque les hasards naturels ne sont pas compensés, alors qu’ils sont aussi arbitraires que les hasards sociaux : personne ne mérite d’être, de naissance, plus fort ou plus intelligent, d’autant plus que les talents ont besoin d’être cultivés. Cependant, Rawls refuse, pour respecter son principe d’égale liberté, de transférer les richesses, tandis qu’il est impossible d’aliéner les biens naturels, et il soulève que l’importance du milieu familial empêche d’instaurer une égalité des chances complètes.
Pour compenser cette impossibilité, Rawls prône le principe de différence pour rendre acceptable les inégalités des chances en mettant les inégalités au service des plus défavorisés : c’est la troisième combinaison possible, l’égalité démocratique (mêlant principe de différence et juste égalité des chances). La quatrième combinaison est celle de l’aristocratie naturelle, avec une égalité formelle des chances mais un principe de différence, conduisant une « noblesse » au service des plus défavorisés, sans leur permettre réellement d’accéder à leurs fonctions, un système que Rawls rejette pour son inégalité et son instabilité. Au contraire, l’égalité démocratique établit que les plus « chanceux » doivent faire profiter aux défavorisés leur situation, en mettant la différence des talents naturels au service de la collectivité par la complémentarité, et en bénéficiant eux-mêmes à cette condition. Les ressources devraient donc être redistribués pour permettre aux défavorisés de contrôler leur existence, en élargissant la propriété privée dans une « démocratie de propriétaires » pour redistribuer les pouvoirs économiques, sans aller jusqu’à supprimer les inégalités de richesse mais en les rendant acceptables, car nécessaires pour produire des richesses et soutenir les plus défavorisés. Rawls reformule ainsi son second principe : « Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) elles apportent aux plus désavantagés les meilleurs perspectives et (b) elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à la juste égalité des chances » .
Pour certains critiques, cette théorie n’est applicable que dans des sociétés où les principes de liberté et de tolérance sont appliqués réellement, et elle ne saurait donc être universelle, puisque tous ne considèrent pas la justice comme équité. Rawls reconnaît cette objection, et pour éviter l’instabilité de la fragmentation culturelle, propose le « consensus par recoupement » : ainsi, malgré l’existence de doctrines compréhensives concurrentes, ces dernières pourraient s’accorder sur un ensemble cohérent de principes politiques, même si leurs conceptions de la vie bonne sont irréconciliables. Ce consensus passe par trois étapes : un modus vivendi (les communautés reconnaissant l’intérêt d’un accord à des fins d’équilibre), puis un consensus constitutionnel stable (les consciences individuelles se modifiant au fil des générations pour obtenir une réelle adhésion collective aux principes du libéralisme, comme la modération, le compromis et l’équité), et enfin le consensus par recoupement (avec une conception politique commune de la justice, et des arguments compréhensibles par tous même si non partagés).
Les prolongements critiques de la théorie de Rawls
Au sein du courant du libéralisme égalitariste, trois perspectives prolongent la théorie rawlsienne tout en la critiquant. La première est celle des libertariens de gauche, qui s’inscrivent dans l’idée de propriété sur soi, mais aussi de propriété commune des ressources extérieures, ce qui signifie qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une appropriation privée sans compensation pour le reste de la société et son assentiment. Inspirés par Locke, Thomas Jefferson et Henry George (1839-1897), ces libertariens de gauche se divisent entre Hillel Steiner, né en 1942 (postulant que les ressources extérieures appartiennent à tous, que la société en doit à chacun une part égale, qu’il faut un impôt unique sur leur valeur, et une égalité stricte/arithmétique), et Michael Otsuka, né en 1964 (affirmant que les ressources extérieures n’appartiennent à personne, que la société en doit à chacun une part aussi avantageuse, qu’il faut un impôt sur la valeur de ces avantages, et une égalité de bien-être/géométrique).
Hillel Steiner fait ainsi partie des libertariens georgistes, et considère comme Thomas Jefferson que la Terre appartient en usufruit aux vivants, et que les droits aux ressources naturelles sont donc loués. Cependant, pour respecter la propriété sur soi, il considère qu’il ne faut pas prendre en compte les différences de talents : si quelqu’un sait davantage tirer avantage de ses ressources extérieures, il ne doit pas payer davantage que les autres. Cette position nécessite cependant d’établir des limites strictes entre le « Moi » et les ressources extérieures : pour les georgistes, les ressources naturelles se limitent à la terre, mais Hillel Steiner va cependant beaucoup plus loin et considère que les propriétés génétiques elles-mêmes font partie des ressources naturelles et devraient donc être compensées financièrement, pour permettre une égalité des conditions plus importante.
Michael Otsuka et les libertariens d’extrême gauche vont plus loin encore, considérant que le monde extérieur n’appartient à personne, et qu’on peut les acquérir seulement si chacun peut en acquérir une part également avantageuse. En considérant les capacités inégales de conversion des ressources en avantage, Michael Otsuka considère qu’il faudrait imposer ces avantages pour en redistribuer les richesses à ceux en ayant le moins, conception qui l’éloigne des libertariens. En effet, cette idée s’accommode mal de l’idée que les ressources extérieures n’appartiennent à personne, et ne respecte pas totalement non plus le principe de propriété sur soi, puisque chacun serait imposé lorsqu’il exploiterait les ressources extérieures par ses talents.
Ronald Dworkin (1931-2013) inverse le raisonnement de Rawls, commençant par l’égalité plutôt que par l’égalité. Il privilégie une égalité de ressources à une égalité de bien-être, qui omet les conceptions divergentes du bien et les préférences de certains pour le luxe. Dworkin critique Rawls sur la question des biens premiers naturels, que Rawls n’entend pas compenser : Dworkin préfère donc que la redistribution puisse non seulement être « impersonnelle » en ce qui concerne les biens aliénables, et personnelle et inaliénable pour les capacités. Cela passe, dans le premier cas, par une mise aux enchères, chacun disposant au départ de la même somme et pouvant choisir ses priorités. Ce modèle permet de passer le « test de l’envie » : une personne et son voisin seraient tous deux prêts à débourser autant pour acheter ce que possède l’autre. Concernant les inégalités naturelles, Dworkin propose un système d’assurance, pour financer le coût additionnel nécessaire (notamment pour les personnes handicapées, ou pour compenser l’absence de certains talents) pour mener une vie satisfaisante, la malchance étant donc compensée par la communauté. Dès lors, les inégalités ne feraient plus que refléter les choix individuels : l’égalité présuppose donc la liberté.
En effet, selon Dworkin, on pourrait considérer que prendre en compte les intérêts et préférences individuelles mène au respect des libertés de tous, qui sont des moyens de parvenir à une distribution égalitaire ; cependant, tous les individus ne sont pas intéressés par certaines libertés, et Dworkin préfère une façon constitutive de penser la compatibilité entre liberté et égalité : la liberté est considérée comme un présupposé sans lequel l’égalité ne serait pas souhaitable. En effet, dans le système de mise aux enchères, on ne pourrait pas profiter de tous les biens si leur consommation n’était pas autorisée, et tous ne seraient pas à égalité dans leurs possibilités de jouir des biens choisis. Dworkin revendique donc un « principe égalitariste abstrait » incluant un système de libertés étendu.
Amartya Sen, né en 1933, rompt de façon plus radicale encore avec Rawls et même Dworkin, abandonnant totalement la perspective ressourciste. Il critique fortement les approches utilitaristes, en particulier parce qu’elles ne voient que l’utilité au détriment par exemple de la capacité d’action des individus, un individu pouvant ainsi s’accommoder d’une privation. Il ne faudrait donc pas considérer les préférences des individus, mais les opportunités offertes : ce sont ces possibilités qu’il faut plutôt maximiser, afin que chacun puisse choisir sa propre situation.
Contre Rawls, Amartya Sen affirme que la base informationnelle mobilisée par ce dernier pour envisager les ressources n’est pas satisfaisante, puisqu’il ne prend pas en compte la capacité des individus à transformer les ressources en avantage : par exemple, une égalité de rémunération entre hommes et femmes ne mettrait pas fin à la domination masculine. Amartya Sen accuse ainsi Rawls de trop se focaliser sur les biens premiers plutôt que sur les différences entre les individus, qui ont des besoins différents. Il critique aussi Rawls dans son approche totalisante et transcendantale de la justice, préférant une démarche comparative assumant le relativisme moral, prônant donc une approche comparative basée sur l’observation pour mettre un terme aux injustices intolérables plutôt que pour créer une société idéale.
Selon Amartya Sen, presque toutes les théories politiques souhaitent une forme ou une autre d’égalité, même s’il ne s’agit que de droits ; et elles acceptent dans le même temps des inégalités dans des domaines plus périphériques, un choix que les théories doivent assumer. Pour Amartya Sen, il faut viser l’égalité des « capabilités » , c’est-à-dire des fonctionnements accessibles à un individu, permettant une liberté réelle de mener la vie choisie. Il affirme que la capabilité « représente les diverses combinaisons de fonctionnements (états et actions) que la personne peut accomplir » . Les individus doivent pouvoir accéder aux ressources (entitlement) : leur présence ne suffit pas. Il ne désire par l’égalité des revenus, la conversion des ressources pouvant diverger, mais plutôt des « facteurs de conversion » (aptitudes physiques, capacités intellectuelles), et observer les fonctionnements (la conversion des ressources) ainsi que les choix effectués par les individus au regard de leurs possibilités. Une « base informationnelle » élargie est ainsi nécessaire pour prendre en compte les ressources, les capacités d’accès, leur actualisation effective, les autres opportunités de réalisation… Chacun devant donc recevoir la possibilité réelle de mener son projet de vie.
Conclusion
De nouvelles perspectives se sont ainsi développées pour critiquer le versant économique du libéralisme, à travers de nouvelles théories socialistes et des théories égalitaristes.
Dans les premières, on trouve le marxisme analytique, qui renouvelle le marxisme historique en acceptant par exemple l’idée d’un socialisme de marché exploitant les égoïsmes, et en reconnaissant la légitimité de certains transfert de plus-values pour venir en aide aux plus vulnérables, abandonnant souvent l’idée d’une égalité totale. La démocratie est davantage considérée comme un objectif, et le déterministe historique rejeté au profit d’une vision volontariste de la transformation de la société.
On trouve aussi les théories critiques continentales, issues des mouvements ouvriers et se focalisant par exemple sur la question de la reconnaissance, recherchée notamment dans le regard des autres pour développer un rapport positif à soi et en évitant le mépris social. De nouveaux mouvements sociaux, par exemple centrés sur la reconnaissance des identités culturelles, sont ainsi pris en compte. Le socialisme devrait ainsi ne plus être une simple question économique, mais s’impliquer dans la relation entre les citoyens, pour une véritable liberté sociale, dans un contexte d’accélération sociale, et le processus de mondialisation.
Dans les théories égalitaristes, c’est d’abord la théorie rawlsienne de la justice, contractualiste, non téléologique, non justnaturaliste et plutôt procédurale, qui renouvelle la théorie politique. Il développe un principe d’égale liberté et un principe d’égalité démocratique supposant que les inégalités ne peuvent être justifiées que si elles apportent un avantage aux plus défavorisés.
Plusieurs penseurs prolongent et critiquent cette théorie, notamment les libertariens de gauche attachés à la propriété sur soi, Ronald Dworkin voulant privilégier l’égalité, et Amartya Sen souhaitant davantage prendre en compte les différences entre individus.
Nous l’avons vu, malgré la dislocation de l’URSS et le triomphe actuel du libéralisme néoclassique ou ultralibéral, les théories critiques de ce libéralisme se renouvellent depuis une cinquantaine d’années. Pour autant, elles peinent à traverser les frontières de la théorie politique pour imprégner les mouvements politiques inspirés du socialisme, et a fortiori les pratiques de gouvernement : aujourd’hui, la perspective de justice sociale semble s’éloigner dans nos sociétés occidentales.
- CARÉ Sébastien, La Théorie politique contemporaine. Courants, auteurs, débats, Paris, Armand Colin, 2021, 301 p. ↩︎