La communication politique

Les premiers articles de ce blog ont permis de définir plusieurs termes, disciplines et activités, notamment avec les différents sens du mot « politique » . Ce terme peut renvoyer à la compétition entre individus et partis pour le pouvoir, aux interventions de l’autorité publique, ou à l’organisation du vivre-ensemble ; nous pourrions dire, pour simplifier, que les personnes souhaitant obtenir des fonctions politiques font de « la » politique afin de conquérir le pouvoir, afin de mettre en place « des » politiques publiques dans tous les domaines d’intervention publics, en cohérence avec leur vision « du » politique et donc de l’organisation socio-politique qu’elles souhaitent mettre en place.

Pour y parvenir, ces hommes et femmes politiques doivent, dans le cadre d’une démocratie représentative, être élus, transmettre leurs directives à toute la structure politique qu’ils dirigent, et faire accepter les politiques publiques qu’ils ont développées. Ce processus passe donc par de la communication : ce qu’on appelle la communication politique est donc l’une des facettes essentielles du monde politique.

Au cours de cet article, je chercherai donc à définir ce domaine à l’aide de l’ouvrage Introduction à la communication politique1.

La communication, en premier lieu, renvoie à l’expression d’une intention, d’une idée, d’une émotion, en donnant des informations sur des événements, dans l’objectif de partager une information, d’interagir, de transmettre, et d’agir sur autrui, de le convaincre. C’est un processus d’échange d’informations entre individus, par divers moyens, dans le double objectif de compréhension et d’adhésion. Cette communication peut passer par différentes techniques (selon les moyens, voies, supports, systèmes, réseaux et outils), et prendre des formes variées, selon l’échelle (verbale ou non verbale par exemple), l’intention (informer ou persuader), ou le cadre d’activité.

Définition de la communication politique

Le cadre qui nous intéresse est ici le cadre politique : on parlera donc de communication politique. Cette expression renvoie à plusieurs éléments : des rôles (les candidats et élus), des logiques d’action (convaincre, gouverner) et des situations (débats politiques, campagnes). Nous pourrions dire que la communication politique permet par exemple à des candidats de convaincre les électeurs de voter pour eux lors de campagnes électorales. On peut la définir très simplement, comme la « part prise par la communication dans le processus politique » , définition proposée par Steve Chaffee en 1975. Afin de prendre en compte les évolutions dues aux chaînes d’information continue, aux réseaux sociaux et à l’influence des lobbys, ainsi que la place prise par la communication dans le travail de gouvernement, il est nécessaire d’élargir cette définition. Ainsi, selon les auteurs, « la notion de communication politique recouvre aujourd’hui tous les usages d’informations et de symboles contenant une charge politique ou servant des intentions politiques » . La communication politique serait donc toute transmission d’informations, d’intentions ou d’émotions pour obtenir une adhésion dans le domaine politique, de la façon la plus large possible.

En effet, la communication politique, c’est-à-dire avec des finalités politiques (concernant la lutte pour le pouvoir, les politiques publiques mises en place ou l’organisation de la société), ne concerne plus seulement les élus ou candidats, mais aussi divers groupes d’intérêt, mouvements sociaux et associations. Ces structures utilisent les outils de la communication pour changer les représentations de l’opinion, prendre position sur un projet ou une candidature… Afin de prendre en compte ces évolutions, Richard Perloff définit la communication politique en 2013 comme « le processus par lequel le langage et les symboles, employés par les leaders, les médias ou les citoyens, exercent des effets prévus ou imprévus sur les connaissances, les attitudes ou les comportements politiques des individus ou sur les résultats qui portent sur les politiques publiques d’une nation, d’un État ou d’un groupe social ». Plus simplement, il s’agit de transmettre des informations, intentions, idées ou émotions, à la fois comme homme ou femme politique, ou personne ou groupe issu de la société civile, pour influencer l’opinion et le comportement politiques des individus.

La notion de processus politique est au cœur de cette définition : il s’agit de l’interdépendance continue entre la compétition pour le pouvoir (par exemple l’élection) et l’exercice du pouvoir (la mise en œuvre des politiques publiques). Le processus politique est donc « l’ensemble des actions, interactions et discours à travers lesquels se détermine la distribution des rôles de pouvoir et l’orientation des décisions publiques. » . L’importance et la forme de la communication politique dépendent ainsi de qui doit être convaincu pour exercer le pouvoir, des valeurs principales d’une société concernant le pouvoir, de la possibilité d’une contestation… Dans une démocratie représentative rejetant la violence physique, on respecte les principes d’élection et d’indépendance des gouvernants, de liberté d’expression publique des gouvernés, et de mise à l’épreuve des choix politiques par la discussion publique. C’est pour cela que les parties prenantes du processus politique sont très nombreuses : toute personne engagée dans la défense d’un intérêt peut se faire entendre et prendre part au processus politique.

La médiatisation des enjeux de la vie démocratique a un impact sur le processus politique : les hommes et femmes politiques interpellent l’opinion et l’utilisent dans le cadre du rapport de force entretenu avec les autres acteurs politiques et les lobbyistes notamment. Aux États-Unis, il est devenu de plus en plus fréquent après la Seconde Guerre mondiale d’utiliser l’appel à l’opinion, et donc les médias, pour prendre l’avantage dans le processus politique. On peut ainsi parler de « démocratie médiatique » . La communication politique se bornait à « l’ensemble des actions stratégiques déployées par les titulaires, les prétendants au pouvoir pour obtenir des soutiens ou des votes » , mais aujourd’hui, il s’agit de « l’ensemble des actions stratégiques déployées par les groupes sociaux organisés (associations, lobbys, ONG, think tanks, etc.) pour imposer leurs vues dans le débat public et auprès des décideurs actuels ou futurs. » . Toute tentative d’agir sur les représentations sociales par le biais de la communication renvoie au domaine de la communication politique, puisque selon Bourdieu, est politique « toute action visant à transformer les catégories de perception » . Des moyens sont mis en place, avec quatre dimensions : matérielle (budgets et équipements), technique (instruments et procédures), conceptuelle (représentations) et humaine.

Ces moyens se généralisent, dans une course aux armements communicationnels. Malgré la démocratisation de l’accès à l’espace public grâce à Internet, les inégalités de ressources subsistent entre les compétiteurs politiques : inégalités de crédibilité et de légitimité. Ces compétiteurs ne disposent pas tous d’autant d’équipement en moyens de communication, ni d’autant de maîtrise stratégique. Les élus peuvent par exemple parler au nom de l’intérêt général et de leur administration publique : on peut parler de communication publique, pour informer les citoyens sur l’action conduite, transmettre des messages d’intérêt général… La différence avec la communication politique réside dans les stratégies de distinction, selon d’où on parle (un ministère par exemple), au nom de qui ou de quoi.

La définition finale donnée par les auteurs est la suivante :  » l’ensemble des savoirs, pratiques, croyances et interactions tactiques qui organisent l’économie sociale des biens symboliques en lien avec le vivre-ensemble et l’avenir commun d’une société. » . Il s’agit donc d’échanger des informations et opinions pour avoir un impact sur les objets ou ressources immatérielles ordonnant les relations sociales, par exemple les croyances ou les valeurs morales, afin de transformer l’avenir de la société. Trois ordres des phénomènes sociaux sont recouverts par la communication politique : la monstration de l’autorité (par des discours et symboles, pour maintenir l’idée d’un ordre social commun dans l’imaginaire collectif), la légitimation de l’ordre social et politique (notamment par la maîtrise des règles du jeu démocratique, comme les élections) pour réduire l’incertitude, et l’idée d’une activité spécialisée, d’un champ professionnel propre organisé autour des spécialistes du travail électoral et gouvernemental, de l’information, et de l’opinion publique. La communication politique permet d’établir des relations entre les professionnels.

La communication politique en tant que science

La communication politique, parfois considérée avec mépris comme un ensemble de techniques rhétoriques utilisées pour faire passer des messages démagogues par le biais d’éléments de langage dans l’unique but d’accéder au pouvoir, est pourtant un objet de recherches scientifiques sérieuses. Au cours du XXe siècle, la communication politique a donné lieu à de nombreux programmes de recherche, et a bénéficié de l’interdisciplinarité de la sociologie et des sciences politiques, de la communication et du langage, ainsi que de l’expérience d’univers professionnels tels que celui des chercheurs ou des journalistes. Les auteurs abordent deux traditions nationales de recherche sur la communication politique : la tradition américaine et la tradition française.

La tradition américaine de la recherche sur la communication politique se développe en parallèle des études électorales et de la mass communication research. Jusqu’aux années 1960, les politistes s’y intéressent peu, en raison d’une enquête de Lazarsfeld montrant que les messages médiatiques avaient en 1940 un impact très limité sur la formation des choix de vote. Ce n’est qu’ensuite que l’analyse des médias et des stratégies de communication électorale prend son essor. Avec les médias de masse et notamment la télévision, qui entraînent des nouvelles façons de produire et de consommer l’information, l’usage des médias devient plus stratégique, et les messages médiatiques sont de moins en moins considérés comme inutiles. Mais ce n’est qu’en 1981, avec le premier Handbook of Political Communication de Keith Sanders et Dan Nimmo, que la discipline trouve une consécration scientifique et une autonomie, en réponse à une série de phénomènes sociaux d’un type nouveau, et à l’émergence d’un nouveau corps de professionnels (conseil stratégique, études d’opinion, marketing…).

En effet, la forte personnalisation de la compétition politique américaine (avec des scrutins uninominaux à toutes les échelles) crée un marché qui provoque l’apparition de professionnels des relations publiques, des enquêtes d’opinion et de la publicité commerciale. Dans le contexte de l’essor de la télévision à la fin des années 1950, le débat entre Kennedy et Nixon en 1960 est suivi par plus de 70 millions de téléspectateurs, avec une forte influence sur l’issue du scrutin. La présidence Kennedy, très médiatisée, et la couverture médiatique des protestations contre la guerre du Vietnam, montrent l’intensification du rôle des médias, ainsi que de la communication et des sondages, dans le processus politique américain. Les photographies de la guerre agissent ainsi sur l’opinion et les choix politiques, désormais sous pression médiatique. Les médias de masse et les sondage deviennent un phénomène social de première importance : la communication politique devient donc un objet de recherche légitime.

En France, la recherche se développe à la suite de la tradition américaine, au cours des années 1970 et 1980, en raison de trois facteurs : la personnalisation des campagnes, la diversification des programmes audiovisuels, et l’influence du marketing, des relations publiques et des sondages dans la production du travail politique. L’Europe, avec sa tradition parlementaire, est moins enclin à la personnalisation de la politique. En France, l’élection du Président au suffrage universel direct est cependant introduite en 1962, provoquant un changement radical : la communication politique se professionnalise à l’américaine, avec une utilisation plus importante de la télévision, ce que remarquent les chercheurs René Rémond et Claude Neuschwander dès 1963 dans la Revue française de science politique. Ils prévoient de grands bouleversements dans le système politique en raison de l’importance prise par la télévision, un instrument crucial pour la communication électorale puis gouvernementale. Dans le même temps, la tradition parlementaire française est rompue par De Gaulle en 1958, avec une prééminence marquée du pouvoir exécutif. De Gaulle sait utiliser ce nouveau média qui rentre dans la vie des Français, en intervenant très souvent au cours des années 1960, remplaçant quasiment le Parlement par les médias à travers lesquels il s’adresse directement aux Français. La campagne de 1965 s’inscrit dans cette dynamique, par exemple avec le candidat Lecanuet, surnommé « le Kennedy français » pour sa communication électorale à l’américaine. La recherche française s’intéresse dès lors à « ces nouveaux usages politiques des médias audiovisuels, des sondages et des techniques de la communication persuasive venues du marketing commercial » .

Des universitaires, comme Schwartzenberg dans L’État spectacle en 1977, dénoncent des risques d’un dévoiement de la démocratie, mais d’autres se montrent plus modérés, comme Wolton, Missika ou Lenain, tandis que des communicants comme Jacques Séguela (avec Fils de pub en 1984) écrivent eux-mêmes des essais pour encenser la communication politique. Les sciences de l’information et de la communication voient un courant de recherche portant sur la communication publique et politique se développer dans les universités. Les revues, comme Réseaux en 1982 et Hermès en 1988, se multiplient, et les ouvrages aussi, consacrés par la collection « Que sais-je » avec l’ouvrage La communication politique du politiste Jacques Gerstlé, en 1992. Le domaine reste cependant surtout un domaine de spécialisation pratique. Mais en 1988, le premier et seul laboratoire dédié à la communication politique, « Communication et Politique » , est créé par le sociologue Dominique Wolton. Analyses scientifiques et praticiens se mêlent de manière assez confuse, et malgré des tentatives d’approche sociologique affirmant le caractère scientifique des travaux sur la communication politique, par exemple la synthèse de Philippe Riutort Sociologie de la communication politique publiée en 2008 et la revue Politiques de Communication en 2013, « la communication politique demeure aujourd’hui encore une sous-discipline assez secondaire de la science politique française » .

Conclusion

Pour conclure, la communication politique se trouve au carrefour de deux approches : l’approche académique, portée par des chercheurs qui vise à étudier l’évolution de l’usage des techniques du marketing et de la publicité, notamment à travers les nouveaux médias audiovisuels (radio, télévision, réseaux sociaux), en l’inscrivant dans le contexte historique de la personnalisation de la vie politique occidentale, et ce avec la démarche scientifique positive issue des autres sciences sociales ; et l’approche pratique, généralement développée par des publicistes et des communicants tels que Jacques Séguéla, portant davantage sur l’expérience des techniques de communication.

Avec l’émergence des nouveaux moyens de communication comme les réseaux sociaux et la déshérence progressive de la télévision, ainsi que la tendance actuelle de désengagement de la population vis-à-vis de la politique, nous pouvons nous attendre à ce que la communication recherche de nouveaux chemins pour accomplir les objectifs qu’elle s’est toujours fixée : obtenir l’adhésion des citoyens à des candidats, des élus, et des politiques publiques. A moins que, prenant le parti de poursuivre sur ce désengagement des citoyens, les acteurs politiques de demain décident plutôt de miser sur une dépolitisation de la société : nous pouvons dès lors poser la question de l’avenir de la communication politique.

  1. ALDRIN Philippe, HUBÉ Nicolas, Introduction à la communication politique, Paris, De Boeck Supérieur, 2022, 280 p. ↩︎

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