L’autoritarisme

Nous avons vu quel était l’objet de la philosophie politique : une recherche du meilleur système de gouvernement possible, de l’organisation de la vie en commun qui soit la plus propice au bonheur des êtres humains. Cela passe d’abord par déterminer la connaissance de ce qui est bon, puis par remplacer les opinions subjectives afin d’établir des connaissances sur la meilleure façon d’organiser et d’exercer le pouvoir, et de réguler les intérêts collectifs contradictoires.

La philosophie politique, on l’a vu, a pris son essor au XVIIe siècle, en même temps que l’État moderne : le cadre de référence de la réflexion philosophique sur le politique est dès lors devenu l’État, et la question majeure posée par la philosophie politique était donc l’organisation de l’État moderne.

Plusieurs courants politiques sont nés depuis cette période ; nous les étudierons à l’aide de l’ouvrage déjà évoqué Histoire des grands courants de la pensée politique1.

Traits généraux de l’autoritarisme

Parmi les trois courants de pensée principaux de la pensée politique (l’autoritarisme, le libéralisme et le socialisme), le premier à naître est celui de l’autoritarisme. Ce terme renvoie, au sens large, à l’autorité : au pouvoir de se faire obéir. Elle est au fondement de tout pouvoir politique, y compris en dehors de l’autoritarisme. La spécificité de l’autoritarisme réside plutôt dans l’idée d’une prééminence absolue des gouvernants sur les gouvernés, au nom de leur supériorité. Leur inégalité est affirmée, l’esprit critique abandonné, et la contrainte utilisée de façon importante. Dans ce contexte, la liberté individuelle s’efface, l’autorité du pouvoir s’impose à toute la société.

Nous verrons dans cet article les quatre courants principaux de l’autoritarisme.

Le traditionalisme

Le traditionalisme est le premier courant politique à s’être développé au sein de l’autoritarisme. Originellement, il s’agit de la doctrine contre-révolutionnaire, rejetant la Révolution et toutes ses idées. Son sens est aujourd’hui plus large : il s’agit de « tout courant de pensée qui se réfère prioritairement au passé et qui fait du respect de la tradition, de l’ordre établi et de l’autorité les seuls fondements légitimes de l’organisation politique ». Il valorise l’expérience de préférence à la raison, l’ordre plutôt que le progrès, la société contre l’individu, la foi au lieu du doute, la religion et non la science, ainsi qu’une conception figée de l’histoire à la place d’une évolution précipitée.

Il s’agissait du courant dominant, incontesté, jusqu’au XVIIIe siècle, raison pour laquelle il fut peu formalisé avant la Révolution. Il prenait alors la forme de l’absolutisme monarchique, fondé selon Bossuet sur le respect des traditions et les principes de droit divin, à l’origine du principe des monarchies héréditaires. L’autorité royale, devant être absolument respectée, doit cependant être paternelle, raisonnable, non-arbitraire, en raison des devoirs du roi envers la religion et la justice, étant lieutenant de Dieu sur Terre et responsable devant lui.

Dans la foulée des bouleversements de 1789, les contre-révolutionnaires formalisent leur idéologie. Le premier d’entre eux est Burke, qui considère la révolution comme une source de désordre, critiquant les idées révolutionnaires et préférant les traditions : pour lui, seule compte la diversité et la matérialité des hommes plutôt que l’égalité abstraite, les devoirs seraient plus importants que les droits et donc que la liberté comme concept abstrait. Il refuse que le pouvoir soit attribué à une institution dépersonnalisée : les hommes devraient gouverner les hommes, comme voulu par Dieu. Il a ainsi foi en la providence et la tradition, aux préjugés et habitudes, qui ont donné naissance à un ordre établi considéré comme bon, car ayant résisté au passage du temps. Non rationaliste, il perçoit la Révolution comme un châtiment de Dieu.

Maistre et Bonald sont les deux autres contre-révolutionnaires d’importance. Le premier réaffirme la notion d’un pouvoir d’origine divine : la monarchie serait providentielle, sans besoin de la justifier. La hiérarchie serait toute autant naturelle, l’expérience primerait sur la raison, et le pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, avec un catholicisme royaliste. Le second insiste davantage sur l’anti-individualisme et la nécessité de l’ordre : il exalte l’État et les devoirs des individus. L’Église, l’État et la famille constituent dès lors des piliers pour perpétuer la tradition donnée par la Providence, et le seul régime acceptable serait donc la monarchie absolue.

Ces doctrines, perçues aujourd’hui comme anachroniques avec leurs valeurs figées, ont un impact limité ; mais le traditionalisme a laissé des traces. Il ne peut plus défendre l’ordre établi en raison du triomphe de l’État libéral, mais il s’exprime par une nostalgie regrettant les valeurs perdues et dénonçant les mutations trop rapides. Il prône le retour à Dieu, à la patrie, à la famille, à l’autorité et à la morale, considérées comme les valeurs suprêmes. Des tentatives, notamment celle de Salazar au Portugal, ont cherché à les rétablir : dans ce régime, Dieu instaurerait l’autorité pour la confier aux hommes dignes, à travers un choix providentiel, défendant les valeurs traditionalistes – le fascisme, par l’exaltation de la nation et le culte du chef par exemple, influence cependant Salazar.

Malgré le déclin de la doctrine traditionaliste au fil du XXe siècle, les années 1970 marquent son renouveau à travers le néo-traditionalisme, notamment avec la nouvelle droite en France. Il s’agit cette fois de revenir à la culture indo-européenne, avant même l’apparition du judaïsme et du christianisme, accusés de mener au marxisme. Le néo-traditionalisme repose sur des conceptions abusives de la sociobiologie pour justifier les inégalités, la hiérarchie, l’honneur et l’autorité, valeurs essentielles défendues contre celles de l’Occident actuel (le matérialisme et l’égalitarisme dégénéré). Le catholicisme est rejeté, car il affirme l’égalité des hommes devant Dieu. Le passé est mythifié et considéré comme une source de régénération pour la civilisation.

Le traditionalisme connait aussi un renouveau par la montée de l’intégrisme religieux, dans un contexte de crise socio-économique, politique et morale : la pureté de la religion et le spiritualisme du dogme permettraient de lutter contre le matérialisme de la société de consommation. Cet intégrisme n’a connu de succès que dans des pays musulmans, en premier lieu l’Iran de Khomeyni, avec la hakimiyya, c’est-à-dire la théorie de la souveraineté exclusive de Dieu. La révolution de 1979 montre ainsi la possibilité de restaurer un régime théologique médiéval, en se fondant sur la loi de l’islam, la charia, émanant de Dieu par le Coran, comme principes de gouvernement. Les imams ont donc une légitimité absolue, leur obéir serait un devoir religieux et sacré : l’autorité religieuse s’applique aussi en politique, et le pouvoir temporel s’efface derrière le Guide de la Révolution, lui-même imam. Le droit est ainsi issu du Coran et des hadiths, les propos du Prophète.

Après l’islam chiite d’Iran, c’est l’islam sunnite qui est concerné par cet intégrisme, menant à une théocratie totalitaire, depuis la guerre d’Afghanistan. Cela se produit à travers le wahhabisme, un courant prônant le retour à l’islam des origines, contre la démocratie et les droits de l’Homme, perçus comme une invention de l’Occident. La loi de Dieu devrait plutôt s’appliquer, en l’imposant de force, justifiant une dictature, sans aucune autonomie, même des corps et des âmes, car l’homme doit obéir à Dieu dans toutes les circonstances. Toutes les activités sont dès lors contrôlées par la police religieuse des Talibans. Cette pensée justifie la violence et donc le djihad, au service de la foi : le terrorisme deviendrait légitime selon ces intégristes. Cette philosophie a abouti à travers l’État islamique, version extrême du salafisme djihadiste théorisé par Abu Bakr al-Naji : l’affaiblissement de l’ennemi occidental par la violence extrême, l’administration des territoires conquis, puis la proclamation du Califat en se fondant sur la charia comme fondement de l’ordre socio-politique, le développement de la religiosité, et l’embrigadement militaire des jeunes. Toute contestation, dans ce Califat fondé en 2014 par Bhagdadi, est réprimée, et tous les opposants sont massacrés, mais le Califat perd son territoire et son Calife après quelques années.

Ainsi, le traditionalisme, qui repose sur la défense des valeurs anciennes, l’idée de hiérarchie, du primat de l’expérience, de la Providence, et principalement sur l’autorité absolue légitimée par la volonté de Dieu, connaît malgré l’essor du libéralisme politique des survivances. Il ne s’agit cependant pas du courant autoritaire le plus influent aujourd’hui.

Le scientisme élitiste

En effet, le scientisme élitiste est par exemple davantage prégnant dans notre société. Cette philosophie s’exprime à travers différents courants ayant pour points communs la conviction que la science est l’absolu de la connaissance, et que puisqu’elle est maîtrisée par l’élite, le pouvoir doit revenir à cette élite afin qu’elle gouverne la société de façon scientifique et efficace, mais antidémocratique.

Ces théories prennent leurs racines dans le positivisme d’Auguste Comte, au XIXe siècle. Comte, issu d’une famille catholique et monarchiste, avait le goût de l’ordre, influencé par De Maistre et Bonald. Rationaliste, il veut utiliser la raison pour découvrir la vérité avec les méthodes de l’analyse scientifique, en formulant une théorie du système social expliquant les changements de la société. Il pense que chaque science évolue à travers trois états : l’état théologique (en utilisant Dieu pour expliquer le monde), métaphysique (en ayant recours à des forces abstraites), et enfin positif (par la recherche de lois concrètes).

Comte veut donc mettre en place une politique positive, c’est-à-dire une politique adaptée aux besoins de la société développée grâce à une analyse scientifique. Après l’âge théologique associé à la monarchie de droit divin et l’âge métaphysique associé aux concepts abstraits de la Révolution (la souveraineté nationale par exemple), adviendrait donc l’âge positif. Cet âge nie la démocratie : le progrès nécessite l’ordre, et une élite de savants doit définir les moyens du progrès, appliqués ensuite avec autorité sur les individus. L’organisation autoritaire et élitiste de la société serait donc justifié par la science.

A la suite de ce positivisme (et du traditionalisme) est né un positivisme conservateur sous l’égide de Taine et de Renan. Taine, historien, veut une analyse scientifique et déterministe de l’histoire, en considérant trois facteurs : la race, le milieu et le moment, qui conditionnent le système politique. L’Histoire permettrait donc de comprendre les causes de l’évolution de la société, et ainsi de faire de bons choix politiques, issus de la tradition qui nous ont forgé, et mis en œuvre par les élites qu’il faut éduquer : Taine fonde donc l’Ecole libre des sciences politiques, qui préfigure l’ENA. On voit donc l’influence de ce courant de pensée dans notre organisation politique actuelle. Renan considère quant à lui qu’un pays démocratique ne peut être bien gouverné, et que les élites intellectuelles doivent donc s’en charger. Il valorise la science, la religiosité, ainsi que le nationalisme, autre courant autoritaire que nous étudierons.

De ce positivisme du XIXe siècle sont issues les théories élitistes du XXe siècle, qui rejettent l’égalitarisme et considèrent aussi que la société doit être gouvernée par les plus capables ; elles se différencient cependant dans les modalités de définition et de choix des élites. Pareto, sociologue italien, est le fondateur de l’élitisme. Il s’inscrit dans l’ultra-positivisme, pense que la science est logico-expérimentale : les faits doivent prendre le pas sur l’idéologie considérée comme inutile. L’élite, capable de comprendre l’activité humaine, peut ainsi dégager des principes de gouvernement avec une conduite logique faisant coïncider les buts fixés et les moyens mis en œuvre. Cette conduite logique devrait s’imposer et maîtriser les sentiments et impulsions des individus, ce que seule une élite pourrait faire. Cette élite doit cependant se renouveler pour éviter la décadence : elle doit être toujours la plus capable, et se maintenir au pouvoir par un mélange de coercition et de consentement, en utilisant la ruse voire la violence.

L’autre théoricien italien de l’élitisme est Mosca, qui aborde la notion de classe dirigeante, dont l’objectif est d’avoir le monopole du pouvoir sur la classe dirigée, grâce à des méthodes légales ou arbitraires, en cherchant à le rendre héréditaire. Il considère que tout changement politique ne permet qu’à une nouvelle minorité de prendre le pouvoir : l’égalité politique ne serait donc qu’une illusion, pendant que la nouvelle élite assure son emprise. Enfin, le théoricien allemand Michels affirme la loi d’airain de l’oligarchie : dans toute organisation sociale, plus la structure se complexifie, plus les chefs renforcent leur pouvoir, menant à l’apathie chez les masses, de plus en plus atomisées et inertes, ce qui les conduit à confier le gouvernement à une minorité de spécialistes. Il faudrait donc déterminer comment recruter les élites, choisies selon leurs compétences techniques et leur efficacité, non leur morale. Cette logique conduit Michels à soutenir le fascisme.

La technocratie est l’aboutissement des principes scientistes de Comte et des théories politiques. Sa thèse est que les problèmes doivent être résolus par la technique, et donc des méthodes de gestion scientifique, sans idéologie – mais cette idée est elle-même une idéologie. Le pouvoir est transféré à une caste formée par les hauts fonctionnaires, non responsables devant les citoyens, légitimes par leur savoir. Ces théories naissent avec la bureaucratie et la société industrielle au début du XXe siècle, puis prennent leur essor dans la société post-industrielle des années 60 et 70.

Max Weber proclame ainsi le pouvoir bureaucratique : l’Etat moderne est une société, c’est-à-dire une association d’individus dont le but est d’obtenir la conciliation la plus favorable à des intérêts divergents, avec un primat des valeurs matérielles. L’Etat s’impose pour cela dans l’espace (sur un territoire) et le temps (à un moment historique donné), grâce au monopole de la violence légitime d’une part et l’organisation bureaucratique régulant la société d’autre part. La bureaucratie est donc l’instrument nécessaire de la domination de l’Etat moderne, et la question première devient donc l’organisation de cette bureaucratie plutôt que le choix entre plusieurs idéologies. La bureaucratie remplace la violence comme mode privilégié de régulation de la société : on passe d’un pouvoir traditionnel reposant sur le poids du passé et une autorité héréditaire, à un pouvoir charismatique reposant sur la personnalité du chef, à finalement un pouvoir rationnel reposant sur le droit et la bureaucratie, avec une démocratie illusoire.

L’idéologie techno-bureaucratique naît donc au milieu du XXe siècle sur la base de tous ces principes. Burnham proclame ainsi l’ère des organisateurs : les problèmes ne seraient plus politiques mais techniques, avec un primat de l’économie et donc de la recherche de la croissance. Des théoriciens de l’économie dépendrait donc le fonctionnement de la société post-industrielle, le capitalisme étant remplacé par un régime de managers, devenant les dirigeants politiques. Galbraith théorise à sa suite la notion de techno-structure, « appareil de décision de groupe » formé par les dirigeants des grandes firmes multinationales et l’appareil d’Etat. Cette techno-structure, par le biais du complexe militaro-industriel (la défense et les industries d’armements), affirme son pouvoir, dans un contexte où le monde est dominé par l’affrontement Est-Ouest et la course aux armements. Un Etat savant serait donc nécessaire : Bell affirme ainsi la fin des idéologies, le réalisme techniciste triomphant sur les débats politiciens.

La fonction de l’Etat, pour ce courant technocratique, ne serait plus que de piloter et non faire des choix. Easton explique ainsi que l’Etat produit des décisions et des actions en visant une adaptation optimale à l’environnement, et a un rôle de régulateur en tenant compte des informations reçues de l’environnement. Tout choix véritable s’efface donc, et les dirigeants devraient être sélectionnés selon leurs compétences et non selon le choix de la population.

L’issue inévitable de l’ensemble de ces courants de pensée est la fin proclamée de la politique, et de la démocratie, puisque l’opposition n’aurait plus lieu d’être : c’est l’avènement de la pensée unique, qui s’impose après quelques décennies, dans la lignée de l’effondrement de l’URSS et du communisme, qui marque la fin de l’antagonisme idéologique.

Le nationalisme

Un troisième courant incontournable de l’autoritarisme est le nationalisme, né à la fin du XVIIIe siècle. Il est à l’origine lié au mouvement libéral et à la Révolution : la nation est associée à la liberté contre les monarchies absolues, et c’est ainsi que cette idéologie se diffuse durant toute la première moitié du XIXe siècle, notamment à travers le romantisme de l’historien Michelet. Ce premier nationalisme est démocratique et non xénophobe, l’amour de la patrie étant la condition de l’amour de l’humanité ; on qualifierait aujourd’hui cette conception de patriotisme, à la manière de Jaurès.

Le nationalisme est cependant influencé par d’autres penseurs, notamment Renan et les nationalistes allemands, qui transforment ce patriotisme en chauvinisme, en nationalisme donnant à la nation une place prépondérante par rapport aux individualités et aux autres nations. L’historien Renan développe une conception spiritualiste et volontariste : pour lui, « une nation est une âme, un principe spirituel » fondée sur « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs », et elle s’affirme par « la volonté de vivre ensemble ». Ainsi, une mémoire partagée et le choix volontaire fonderaient la nation, âme commune d’un peuple voulant vivre ensemble. Malraux emploie quant à lui l’expression de « communauté des rêves ». Cependant, les fondements d’une nation peuvent changer selon les interprétations : la nation peut être révolutionnaire dans le cadre d’une lutte anticolonialiste, ou réactionnaire pour rétablir un ordre ancien. Dans tous les cas, il s’agit d’une pensée autoritaire, puisque l’individu est sacrifié à l’intérêt commun. La nation s’incarne souvent dans un homme fort, avec des conséquences autoritaires voire totalitaires, parfois du racisme si un groupe restreint est exalté au sein de la communauté. La mystique de la nation peut se transférer à son chef, et les valeurs irrationnelles (culte de la force) peuvent remplacer les valeurs démocratiques (débat, respect, tolérance), faisant du nationalisme une idéologie ayant une vision autoritaire des rapports de l’homme à la société.

En France, le nationalisme réapparaît après la défaite de 1870, à travers différentes branches. La première est celle du nationalisme traditionaliste de Barrès, qui prône la revanche contre l’Allemagne en puisant dans les traditions françaises, à la suite de Renan, en exaltant la terre et les morts pour fonder la nation. Les sentiments et traditions sont valorisés plutôt que la rationalité, dans l’objectif permanent de venger la défaite et de protéger la France des étrangers menaçant ses valeurs. Barrès désire donc une république autoritaire, antiparlementaire, fondée sur le plébiscite, et une armée forte incarnant l’honneur de la nation. Barrès devient ainsi un penseur fondamental du nationalisme au XXe siècle, l’ancrant à droite, et exerçant notamment une influence sur De Gaulle.

Maurras, à la même époque et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, est quant à lui le porte-étendard du nationalisme monarchiste, influencé par les traditionalistes et le positivisme. Il considère que la monarchie a fait la grandeur de la France, qu’elle s’y identifie (contrairement à Barrès), et qu’il faut donc la rétablir, puisque le roi exprime les intérêts de la nation. Cette monarchie devrait être héréditaire (en remettant donc la famille au centre, selon les lois naturelles), antiparlementaire (puisque les citoyens sont impuissants face aux députés ne cherchant que leur intérêt), autoritaire (avec un roi gouvernant directement) et décentralisée (contre le centralisme jacobin et napoléonien). Il inspire lui aussi De Gaulle, mais son soutien au régime de Vichy le discrédite.

Le gaullisme est en effet le courant nationaliste qui découle de ces influences précédentes, tout en apportant sa propre originalité. Les deux thèmes de prédilection de De Gaulle sont ainsi le nationalisme et la restauration de l’État. Il défend la grandeur de la France, dans la continuité du traditionalisme, et souhaite une France libre, avec sa propre politique, diversifiant ses alliances, notamment avec les anciennes colonies africaines, développant une force de frappe nucléaire, refusant la supranationalité, et se méfiant des multinationales et des États-Unis. Il considère qu’un pouvoir fort est pour cela nécessaire, contre le régime parlementaire jugé responsable de la défaite à cause des divisions des partis. Le pouvoir doit donc s’incarner dans un homme fort lié à la nation par le référendum et l’élection au suffrage universel direct : il s’agit d’un régime autoritaire et personnel fondé sur la confiance du peuple et le charisme de son chef. A la suite du général De Gaulle, le parti gaulliste et la droite ne parviennent pas à retrouver le souffle populaire ni le rassemblement transpartisan qui faisaient la spécificité du gaullisme, préférant choisir l’intégration européenne contre la souveraineté de la nation. La droite a depuis évolué vers une rupture libérale et le conservatisme.

C’est en Allemagne, à partir de la fin du XIXe siècle, que le nationalisme s’y affirme jusqu’à l’extrême xénophobie. Il prend son essor avec l’écrivain Fichte pour résister à l’invasion napoléonienne de 1806 : Fichte proclame la supériorité de l’Allemagne et sa mission civilisatrice, prenant ses racines dans sa langue et son espace géographique. L’État, selon Fichte, doit établir la liberté et l’égalité, et les individus devraient se sacrifier pour lui. Ce nationalisme excluant les étrangers, notamment sur la question de la langue, conduit à la xénophobie allemande, inspirant le pangermanisme : ce courant de pensée prône le regroupement de toutes les populations germaniques dans un État unique. Il est conceptualisé par plusieurs théoriciens : Hegel (qui considère l’État comme l’aboutissement de l’Histoire et le terme du progrès, exprimant l’esprit du peuple), List, Treitschke (qui magnifie le passé allemand, en particulier le Saint-Empire-Romain-Germanique, et qui fait l’apologie de la force pour retrouver cette grandeur et la première place mondiale), Ratzel (qui développe la théorie du lebensraum, ou espace vital, qui serait nécessaire au développement de l’Allemagne), et Gobineau et Chamberlain (qui croient en la supériorité de la race aryenne et sont les précurseurs de la politique eugéniste nazie). A leur suite, Bismarck et Guillaume II mettent en place une politique impérialiste et unissent le peuple allemand dans une politique expansionniste légitimant la guerre selon la volonté de Dieu.

La dernière affirmation du nationalisme est celui que l’on trouve dans le tiers-monde : c’est notamment le cas avec la décolonisation, qui provoque un sursaut du sentiment national. Dans ce contexte, c’est au nouvel État qu’il revient de forger la nation, en donnant une identité nationale à la population, divisée en des groupes restreints. Les valeurs sont donc peu nombreuses mais doivent mobiliser la population, notamment sur le thème de la critique de l’oppression coloniale, la décolonisation permettant alors la souveraineté internationale de l’État. Des écrivains comme Césaire, Senghor et Fanon affirment que la colonisation détruit les cultures traditionnelles et provoquent un sentiment d’infériorité : retrouver leurs racines permettraient aux peuples colonisés de développer un sentiment national fondé sur l’identité retrouvée. Ce nationalisme est également autoritaire, avec une vision unanimiste et une lutte armée au centre de son identité, derrière des leaders forts, ainsi qu’un parti unique, menant à l’omnipotence des gouvernants, et donc à l’autoritarisme, justifié par les nécessités de la construction nationale. Dans ce contexte, le nationalisme sert souvent à masquer la vacuité des projets politiques proposés, dans l’unique objectif de conserver le pouvoir.

Le fascisme

Le dernier courant de l’autoritarisme est aussi le plus brutal : il s’agit du fascisme. Issu étymologiquement de fascio, le faisceau des licteurs romains représentant l’unité, la force et la justice, il désigne le régime de Mussolini en Italie, et plus largement l’idéologie de ce régime ou qui s’en inspire, comme sous Franco ou Salazar. Le nazisme y est également rattaché. Le fascisme est d’abord un totalitarisme, c’est-à-dire une idéologie niant l’autonomie de l’individu et privilégiant l’indivisibilité du pouvoir, avec un pouvoir recouvrant tous les aspects de la vie humaine fondé sur la domination absolue de l’État. Pour distinguer le fascisme d’autres types de totalitarismes (dont le communisme), il existe plusieurs spécificités au fascisme.

Son point de départ est le rejet des valeurs démocratiques et philosophiques des Lumières, la démocratie étant jugée décadente, ainsi que l’individualisme et le libéralisme : le fascisme considère que le pluralisme politique divise la société, mais il rejette également le socialisme marxiste. Sa solution est donc une révolution imposant la force. Il consiste en effet en un primat absolu de l’action sur la réflexion, sans doctrine, avec seulement quelques slogans et de la propagande. La violence est ainsi une constante dans la politique fasciste, menant au militarisme et à la guerre, le fascisme étant issu en Italie et en Allemagne d’une humiliation nationale. La force est supposée régénérer la nation et effacer la défaite, dans un idéal de puissance. L’État est exalté : rien ne doit se faire en dehors de lui selon Mussolini et les nazis, les individus doivent lui être soumis, y compris dans leur vie privée. L’État est défini comme un être vivant, avec une âme et un corps ; il est centralisé, contre toute séparation des pouvoirs, fort, autoritaire et absolu. L’État s’incarne dans un chef, un guide charismatique qui montre la voie et inspire une foi irrationnelle, par son lien mystique avec le peuple. Le fascisme est aussi fondamentalement inégalitaire, opposé à l’individualisme, et jugeant que les forts doivent dominer les faibles. Le libre arbitre et donc l’individualité sont proscrits, chacun doit être à sa place. L’élite, qui compose le parti unique, a pour rôle de regrouper l’élite. Enfin, le fascisme s’oppose vigoureusement au socialisme marxiste, affirmant à la place un « vrai socialisme » dénonçant le libéralisme économique, alors que cette condamnation n’est qu’une façade et qu’il existe une compréhension mutuelle avec le patronat. Les principes directeurs du marxisme (lutte des classes, égalitarisme…) sont ainsi opposés à ceux du fascisme.

Le fascisme s’est d’abord incarné en Italie, à travers Mussolini. Au cœur du fascisme italien se trouve d’abord le volontarisme inspiré par Georges Sorel, qui consiste en une politique coloniale pour reconstituer l’empire romain, référence constante du fascisme. L’autre aspect principal réside dans le corporatisme : Mussolini rejette le matérialisme historique et affirme que ce sont les élites, comme décrites par Pareto, qui commandent l’évolution du monde. Le fascisme prône l’union en une seule force économique et sociale : chaque profession s’organise dans une corporation unique dont les représentants mêlent employés et employeurs. Ces corporations sont dominées par l’État fasciste pour placer l’économie au service du pouvoir politique et éliminer les syndicats, dans le cadre de l’organisation totalitaire de la société.

Le nazisme est l’évolution allemande du fascisme ; il est inséparable de sa figure principale, Hitler. Le nazisme prend son essor dans le contexte de la défaite allemande à la fin de la Première Guerre mondiale, qui entraîne une crise économique, sociale, politique et morale. Les promesses simplistes et démagogues des nazis redonnent espoir à la population réduite à la misère, en exploitant son ressentiment. Le nazisme est le régime totalitaire paroxystique, avec un peuple, un État et un chef. Il repose sur le racisme, notamment à travers les écrits de Gobineau et Chamberlain : la race est considérée comme la clé de l’histoire du monde, la race aryenne étant vue comme la race supérieure prédestinée à diriger le monde, sans qu’il soit nécessaire de le démontrer. Le peuple allemand incarnerait cette race et devrait éviter tout métissage, tout en exterminant les « races inférieures » , notamment les Juifs qui menaceraient de dominer le monde. L’objectif est la domination allemande du monde pour arrêter la décadence présentée par l’Allemand Spengler. Pour se développer, l’Allemagne aurait enfin besoin d’un espace vital : le lebensraum, en reconstituant ainsi le grand Reich allemand, dans la lignée du pangermanisme. Il s’agit du rôle de l’État, qui représenterait la race aryenne : le führer incarne ainsi cet État, obtenant l’adhésion par son charisme, et se montrant comme le surhomme rêvé par Nietzsche. Un parti unique est donc instauré pour rassembler les individus les plus « purs » , et former une élite. Les individus n’ont aucune autonomie, et sont endoctrinés pour servir l’État et le führer. Les classes doivent fusionner dans l’objectif de restaurer la solidarité nationale, avec un contrôle économique par l’État, afin d’obtenir les moyens de la conquête du monde.

Malgré la fin du nazisme, le fascisme persiste à travers le néofascisme, mais de façon plus insidieuse, moins assumée, en gardant la même rhétorique, en exaltant l’ordre, l’autorité, et en ayant recours à la force ainsi qu’au culte du chef. Certains régimes, notamment les dictatures militaires d’Amérique latine jusqu’aux années 1990, pratiquaient ainsi des assassinats de masse, et torturaient leurs opposants.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, l’autoritarisme s’est traduit en des courants assez différents à travers le temps, reposant sur des fondements distincts : d’abord la tradition et le droit divin, puis la compétence, et enfin la primauté de la nation, voire de la race.

Ces courants autoritaires, bien que largement disparus en Occident aujourd’hui, conservent une certaine influence. En dehors du monde occidental, on trouve par exemple des régimes totalitaires comme celui de Corée du Nord, ou des régimes traditionalistes, notamment en Iran ou en Afghanistan. Le nationalisme, s’il traverse énormément de pays, est le cœur politique de plusieurs pays anciennement colonisés, comme par exemple l’Algérie. Même en Occident, terre de naissance et d’essor du libéralisme, des courants autoritaires jouent un rôle important : c’est même le cas en France, où le gaullisme marque la Constitution de la Ve République à travers l’hyper-présidentialisation du régime, et où le scientisme élitiste est incarné par la haute fonction publique, qui met en œuvre les politiques publiques.

Ainsi, dans un monde occidental qui a vécu la Révolution française, l’autoritarisme subsiste principalement de façon indirecte, avec un cadre légal qui reste libéral et fondé sur le pluralisme politique. Cette tentation autoritaire est néanmoins bien présente : un sondage d’octobre 2024 dévoilait ainsi que 51% des Français considèrent que « seul un pouvoir fort » peut permettre l’ordre et la sécurité ; 23% ne pensent pas que la démocratie soit le meilleur système possible, et même 31% chez les moins de 35 ans. En considérant d’autres régimes proches y compris de l’Union Européenne, comme la Hongrie dirigée par Viktor Orbán, l’hypothèse d’un retour plus net de l’autoritarisme en France n’est donc pas à exclure.

  1. RAYNAL Jean-Jacques, Histoire des grands courants de la pensée politique, Paris, Hachette Éducation, 2024, 168 p. ↩︎

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *